Avis aux légions de thuriféraires des tarifications « sociale », « progressive », et plus si affinités : « Quand le sage désigne la lune, lidiot regarde le doigt »
Démonstration.
La France compte près de 38 000 services deau et dassainissement.
Rapporté au nombre dusagers desservis, les entreprises privées desservent en eau potable 80% des Français, mais seulement un peu moins de 50% pour lassainissement.
Le montant de la facture deau varie de 1 à 7 dune commune à lautre en France.
La facture deau, pour les usagers titulaires dun abonnement individuel à un service (public ou délégué au privé), ce qui exclut les résidents en habitat social ou en copropriété, dont les charges deau sont acquittées via les charges locatives, se décompose en plusieurs postes :
« labonnement », ou le coût daccès au service, dit « part fixe », qui varie dans des proportions considérables dun service à lautre, facteur totalement inéquitable, car avant même davoir ouvert le robinet on paiera à ce titre quinze euros ou deux cent euros par an
la « surtaxe communale », qui sert à alimenter la collectivité et à lui permettre de réaliser des investissements, elle aussi très variable ;
la « part fermière », qui revient à lentreprise privée quand le service lui a été délégué par la collectivité ;
la « consommation », soit le nombre de m3 consommés par lusager et donc facturés par le service, public ou délégué au privé ;
les « redevances et taxes », soit plusieurs redevances perçues par les Agences de leau, et une taxe distincte perçue par Voies Navigables de France (VNF).
En moyenne nationale leau potable représente un peu moins de 40% du montant de la facture, lassainissement un peu moins de 45%, et les taxes et redevances un peu moins de 20%.
Pour lassainissement, la redevance assainissement collectif, qui représente le coût du traitement des eaux usées rejetées à légout par lusager domestique, est calculée sur la base du volume deau potable consommé par le même usager.
Dans le cas où lusager nest pas relié à légout, il relève dune autre législation, celle de lassainissement non collectif (ANC), dont nous avons longuement narré les déboires auxquels elle expose 5 millions de foyers français
Un système inéquitable
Si les usagers domestiques français consomment environ 150m3 deau potable par an pour lensemble de leurs besoins, dont à peine 1% pour leurs besoins en eau potable, les prélèvements de lindustrie et de lagriculture représentent 5 à 7 fois plus que lensemble des consommations domestiques.
(En bleu à droite : Irrigation : 66%)
Les industriels et les agriculteurs paient leau quils prélèvent de 5 à 50 fois moins cher que les usagers domestiques, et déduisent en outre la TVA quils acquittent sur ces factures de leurs frais.
Le scandale de la TVA sur la facture deau
En revanche les usagers domestiques voient leurs factures deau assujetties, pour certains de ses postes, à la TVA.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2012, le poste « Eau potable » de la facture deau de lusager domestique est assujetti à un taux de TVA, dit « réduit », de 5,5%.
Le poste « Assainissement » du même usager est, lui, assujetti aux taux, dit « intermédiaire », de 7%.
Le troisième grand poste de taxes et redevances enregistre lui aussi une ventilation : les redevances Agence de leau sont taxées à 5,5% de TVA pour les redevances pollution, mais à 7% de TVA pour la redevance dite « Réseau de collecte ». Enfin la taxe prélevée au bénéfice de Voies Navigables de France continue, elle, à être assujettie au taux de TVA « réduit » de 5,5%...
(On imagine déjà aisément les cabrioles comptables induites par le nouveau taux de 7% hérité de la dernière année Fillon-Sarkozy )
Mais ce nétait quun début !
Le coup de bambou de la Loi de Finances 2013
Le vote à lAssemblée nationale le 20 décembre 2012 de la Loi de Finances 2013 a modifié lensemble de ces taux de TVA, en anticipant allégrement sur des évolutions actuellement discutées par la Commission européenne, sur lesquelles nous reviendrons ci-après.
Les taux de TVA ont à nouveau « évolué » depuis 1er janvier 2013 :
5% pour leau potable ;
10% pour lassainissement ;
5% pour les redevances pollution reversées aux Agences de leau ;
10% pour la redevance « Réseau de collecte » reversées aux Agences de leau ;
5% pour la taxe reversée à Voies Navigables de France.
(Le nouveau taux « réduit » de 5% correspond au taux minimal prévu par le projet de réforme communautaire des taux de TVA, actuellement en discussion, à Bruxelles).
Résultat, alors que laugmentation du prix de leau était de lordre de + 3,3%, selon les statistiques (bidon) de lONEMA, entre 2004 et 2008, laugmentation du prix de leau va désormais semballer de plus de 1% par an, sous le seul effet des nouveaux taux de TVA !
Ceci sans même parler de laugmentation mécanique induite par la diminution constante des volumes deau consommés, et donc facturés (moins 1% à 2% par an), qui, par effet ciseau, provoque une augmentation inévitable du prix du m3.
Ajouter enfin que le poids des investissement requis pour respecter les normes relatives à la production et à la distribution deau potable, à lépuration des eaux usées, et, de plus en plus, on le verra avec lActe III de la décentralisation, à la gestion des milieux aquatiques, que daucuns veulent refourguer aux collectivités locales, va provoquer une augmentation substantielle de lensemble des redevances liées au service, pour un montant évalué à +2% à + 6% par service
Et ce nest quun début
Le coup de Jarnac de la Commission européenne
La commission européenne a en effet engagé, très discrètement, à la fin 2012, une consultation sur la suppression des taux réduits de TVA, ou en tout cas, la restriction des activités pouvant bénéficier des taux réduits de TVA., consultation qui sachevait le 4 janvier 2013
Le document de consultation atteste que les objectifs affichés sont, outre lélargissement de lassiette de la TVA et donc laugmentation de leur recette fiscale auprès des ménages et des collectivités (cf. § 4) :
déviter les distorsions de concurrence liées à la différence de taux pratiqués entre certains pays (§ 5) ;
de renchérir le coût des produits et services dont la consommation « doit » être réduite en application des différentes politiques sectorielles de lUE, essentiellement au plan environnemental (§ 6) :
et enfin duniformiser les taux de TVA applicables à des produits ou services différents mais remplissant la même fonction (§7).
Les secteurs eau (§6.1), énergie (§6.2) et déchets (§6.3) (et les travaux dans le secteur habitat, §6.4) sont particulièrement visés par le second volet, la Commission renvoyant à ce propos la question sociale (accès à leau et à lénergie pour les plus pauvres) aux politiques nationales. Les communications électroniques sont quant à elles concernées par le troisième volet (notamment en raison du non assujettissement de certains services « en ligne »).
Notons que ces variations de taux de TVA nimpacteront quasiment que les consommateurs domestiques (et les gestionnaires de services non assujettis : collectivités, certaines associations,..) qui verront, en France, le prix de ces produits et services augmenter de 12,6 à 14,1% selon le taux réduit actuellement applicable
Or, dans le domaine de leau, les consommations des ménages français représentent moins de 24% des consommations totales deau. Et encore, il sagit là de la consommation sur le réseau public dAEP, dont une partie est en fait consommée par des abonnés professionnels industrie et tertiaire
Mais cette augmentation de TVA sera neutre pour les personnes assujetties (industriels, commerçants, agriculteurs, ) puisquelles peuvent déduire la TVA grevant leurs achats !
Il est donc impossible de suivre la Commission européenne quand elle soutient que cette augmentation de TVA produira un effet « écologique » positif en réduisant significativement les consommations deau, puisque plus des ¾ des volumes actuellement consommés le sont par des usagers professionnels assujettis à la TVA, pour qui laugmentation du taux de TVA naura aucun impact et donc aucun caractère incitatif
En revanche, il est incontestable que laugmentation des taux de TVA envisagée, même si elle nempêche pas de mettre en place des « tarifications » sociales et plus généralement de favoriser un accès des plus pauvres à leau potable et à lassainissement à un coût abordable, ne crée pas un contexte favorable, et ne facilite pas le financement des mesures nécessaires.
Le renvoi aux politiques nationales en matière de solidarité est une échappatoire facile
Pour la Commission, elle semble avoir choisi son camp : leau est une marchandise !
Nous attendons avec un vif intérêt de voir comment Bercy, la DEB, le CNE, lONEMA (tirons sur lambulance !), lAcadémie de leau, le CGDD, on en passe et des pires, vont faire des pieds et des mains pour nous convaincre que la « tarification sociale » va terrasser logre de la TVA ?